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Circulation de parasites et agents pathogènes en zones arctiques: implications fondamentales et appliquées

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Message  Thierry_Boulinier Mer 27 Mar - 18:39

Circulation de parasites et agents pathogènes en zones arctiques: implications fondamentales et appliquées

Thierry Boulinier & Karen D. McCoy
CEFE-CNRS, Montpellier and MIVEGEC CNRS-IRD-UM, Montpellier

Les zones polaires ne sont pas les endroits de la planète où l’on imagine que beaucoup de parasites et organismes pathogènes circulent et sont susceptibles d’affecter les populations qui y vivent. Ces systèmes, relativement simples en termes de richesse spécifique, fortement exposés aux variations de l’environnement abiotique et souvent fragmentés dans l’espace, peuvent en effet représenter des environnements relativement inhospitaliers pour l’évolution des populations de parasites…

Et pourtant… certaines espèces d’hôtes y potentiels vivent toute l’année et d’autres retrouvent ces zones pour leur reproduction. Chaque année, ce sont des milliers, voire des dizaines ou des centaines de milliers d’individus, qui viennent s’agréger dans ces zones pour se reproduire (voir la contribution relative aux oiseaux marins de David Gremillet et Jérôme Fort sur ce forum) et des parasites* ont su exploiter la dynamique spatiale et temporelle de la disponibilité de ces espèces. Il s’agit notamment de la tique des oiseaux de mer Ixodes uriae et des bactéries et virus qu’elle transmet (McCoy et al. 2005a), du choléra aviaire qui menace les populations d’eiders du grand nord canadien (Descamps et al. 2012), ou bien des endoparasites de grands mammifères (Davidson et al. 2011).

Quel intérêt d’étudier ces systèmes ? Etudier les dynamiques actuelles et passées de ces systèmes hôte-parasite nous aide notamment à mieux comprendre l’impact des changements environnementaux en cours, qui pourraient entrainer des effets en cascades au sein des communautés impliquées. Avec les changements climatiques contemporains, des variations de la phénologie de la transmission d’endoparasites chez des grands mammifères de l’Arctique, tels que les bœufs musqués, ont, par exemple, été mises en évidence et sont susceptibles d’avoir des effets importants (Kutz et al. 2005). Ces systèmes sont aussi intéressants comme modèles d’étude des processus en jeu dans d’autres systèmes, notamment parce qu’ils sont relativement simplifiés, ce qui permet de disséquer les processus en jeu de façon plus efficace que dans des écosystèmes plus complexes.

C’est par exemple le cas pour deux questions sur lesquelles nous avons travaillé dans un système hôte-parasite dans l’arctique norvégien, mais aussi dans d’autres régions polaires:

- Dans quelle mesure l’écologie des tiques vectrices de la bactérie responsable de la maladie de Lyme a-t-elle des conséquences sur la circulation et l’exposition des hommes à cette maladie ? Des approches de génétique des populations ont notamment permis de montrer que dans le système oiseaux marins-tique, différentes populations de la tique Ixodes uriae se sont spécialisées pour différentes espèces d’hôtes (McCoy et al. 2001). Quelles implications pourraient avoir un tel processus pour la circulation de l’agent de la maladie de Lyme au sein des communautés d’hôtes du système terrestre de cette maladie, où les hôtes de la tique vectrice peuvent inclure de nombreuses espèces de micromammifères, grand mammifères, reptiles et oiseaux ? Des études sont maintenant en cours sur ce sujet. Ceci est d’autant plus important qu’il est apparu que les systèmes terrestre et marin de circulation de la bactérie responsables de la maladie de Lyme ne sont pas indépendants (Gomez-Diaz et al. 2011).

- Est-ce que le système immunitaire d’oiseaux marins des zones polaires, ayant des traits d’histoire de vie extrêmes, est différents de celui d’autres oiseaux et quelles peuvent en être les implications? Grâce à la possibilité de suivre des oiseaux se reproduisant année après année sur les mêmes sites, il a été mis en évidence une particularité du système immunitaire chez certaines de ces espèces: les anticorps transmis de la mère au jeune via le jaune d’œuf peuvent persister plusieurs mois après l’éclosion, ce qui est beaucoup plus longtemps que ce qui était connu jusqu’à ce jour chez les oiseaux (Garnier et al. 2012). Ce résultat a des implications fondamentales pour la compréhension de l’évolution du système immunitaire, mais aussi potentiellement sur un plan appliqué car cela suggère que la vaccination des femelles pourrait permettre de protéger d’une manière efficace et durable les jeunes de telles espèces contre des agents infectieux.

Une autre question importante qui se pose est bien-sûr la dimension spatiale de la circulation des agents pathogènes (Holt & Boulinier 2005). La circulation peut se faire à l’occasion de migrations entre l’Arctique et les zones plus septentrionales (Hoye et al. 2010), mais aussi par des mouvements d’individus entre populations sauvages d’hôtes au sein de l’Arctique (McCoy et al. 2005b, Ponchon et al. 2013). Le travail sur ces sujets nécessite un échantillonnage ‘spatialisé’ à une hiérarchie d’échelles, mais aussi des travaux plus ciblés dans l’espace pour comprendre les processus en jeux. La convergence des questions qui se posent dans les zones arctiques et antarctiques est aussi importante à considérer, les parasites impliqués pouvant d’ailleurs être les mêmes (McCoy et al. 2012).

Et dans tout cela, la position de l’homme n’est pas à négliger, comme facteur de risque d’introduction de nouveaux agents infectieux, mais aussi comme consommateur et protecteur de ressources naturelles qui peuvent être affectées par les parasites.

Les connaissances, les échantillons et l’expérience acquise dans le cadre de programmes de terrain à long terme se révèlent alors comme d’une très grande valeur, notamment lorsque ces programmes sont coordonnés efficacement entre équipes de différents pays. L’existence d’appels d’offre récurrents, ouvert aux initiatives des chercheurs, mais encourageant la coordination et la mise en place de réseaux de collaborations internationales, est alors un moyen efficace de s’assurer que cette recherche se développe au meilleur niveau international. Le système mis en place par l’IPEV en est un excellent exemple.


*Le terme parasite est ici pris au sens large, incluant les macroparastites et les microparasites (virus et bactéries)(Combes 2001).


Références citées:

Combes, C. 2001. Les associations du vivant. L'art d'être parasite. Flammarion.

Davidson, R., Simard, M., Kutz, S.J. et al. 2011. Arctic parasitology: why should we care? Trends in Parasitology 27:239-45.

Descamps, S., Jenouvrier, S., Gilchrist, G.H. et al. 2012. Avian Cholera, a threat to the viability of an arctic seabird colony? PLOS ONE 7: e29659.

Garnier, R., Ramos, R., Staszewski, V. et al. 2012. Maternal antibody persistence: a neglected life history trait with implications from albatross conservation to comparative immunology. Proceedings of the Royal Society, London B 279: 2033-2041.

Gómez-Díaz, E., Boulinier, T., Cornet, M. et al. 2011. Genetic structure of marine Borrelia garinii and population admixture with the terrestrial cycle of Lyme borreliosis. Environmental Microbiology 13: 2453-67.

Holt, R. & Boulinier, T. 2005. Ecosystem and parasitism: the spatial dimension. In Ecosystem and parasitism. Thomas, F., Renaud, F. & Guegan, J.-F. (eds). Oxford University Press, Oxford : 68-84.

Hoye, B.J., Munster, V. J., Nishiura, H. et al. 2010. Reconstructing an annual cycle of interaction: natural infection and antibody dynamics to avian influenza along a migratory flyway. Oïkos 120: 748-755.

Kutz, S.J., E.P. Hoberg, L. Polley and E.J. Jenkins. 2005. Global warming is changing the dynamics of arctic host-parasite systems. Proceedings of the Royal Society, London B 272:2571-6.

McCoy, K.D., Boulinier, T., Tirard, C. & Michalakis, Y. 2001. Host specificity of a generalist parasite: genetic evidence of sympatric host races in Ixodes uriae. Journal of Evolutionary Biology 14: 395-405.

McCoy, K.D., Chapuis, E., Tirard, C. et al. 2005a. Recurrent evolution of host-specialized races in a globally-distributed parasite. Proceedings of the Royal Society, London B 272: 2389-2395.

McCoy, K.D., Boulinier, T. & Tirard, C. 2005b. Comparative host-parasite population structures: disentangling prospecting and dispersal in the Black-legged kittiwake Rissa tridactyla. Molecular Ecology 14: 2825-2838.

McCoy, K. D., Beis, P., Barbosa, A. et al. 2012. Population genetic structure and colonisation of the western Antarctic Peninsula by the seabird tick Ixodes uriae. Marine Ecology Progress Series 459: 109-120.

Ponchon, A., Grémillet, D., Doligez, B. et al. 2013. Tracking prospecting movements involved in breeding habitat selection: insights, pitfalls and perspectives. Methods in Ecology and Evolution 4: 143-150.

Kutz, S.J., E. P. Hoberg, L. Polley and E. J. Jenkins. 2005. Global warming is changing the dynamics of Arctic host–parasite systems. Proceedings Royal Society London B 272, 2571–2576.

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