Commentaires sur le document d’étape de la synthèse de prospective
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Commentaires sur le document d’étape de la synthèse de prospective
En premier lieu, il convient de saluer ce travail de synthèse qui constitue déjà un défi en soi. Il est également louable que la communauté scientifique soit sollicitée pour commenter ce document d'étape. Et je ne peux donc qu'exprimer ma reconnaissance pour tout cela.
Une des plus grandes difficultés a sans doute été de tenter de réunir au sein d'un même document l'ensemble des objectifs de recherche définis et d'élaborer un texte dans la transversalité. L'ampleur de la tâche se heurte donc inévitablement à certaines limites.
Je développerai ici trois suggestions, étroitement liées entre elles.
* Mieux intégrer les questionnements SHS pour comprendre l'ampleur des phénomènes qui concernent les habitants de l'Arctique
Avant toute chose, je tiens tout de même à souligner qu'il est véritablement appréciable que les SHS ne soient pas oubliées dans cette prospective, dans un contexte ou elles le sont malheureusement si souvent. Cependant, un certain nombre des thématiques posées, faisant partie des domaines SHS, pourraient pourtant mieux intégrer dans leur approche des questionnements propres aux SHS (ou sont formulées de manière trop étroite).
Je citerai ici deux exemples :
1- p. 24 (§ 4.3.f. ayant pour titre "la banquise comme milieu de vie dans un contexte de changement climatique"), on lit : "Un autre aspect concerne les modes de représentation de la MIZ [si j'ai bien compris, les "zones en marge de la banquise"] chez les Inuits et leur perception de son importance pour leurs modes de vie dans un contexte de changement climatique (par exemple comme zone de repli pour la faune marine exploitée?). Ces travaux se baseront sur des collectes de savoirs locaux sur la linguistique, la religion, la psychologie cognitive et la sociologie et viseront à une co-construction des objectifs de recherche avec des collaborateurs autochtones".
Ce paragraphe soulève plusieurs interrogations : Pourquoi seulement les Inuit sont pris en considération dans ce pan de recherche, et pas l'ensemble des peuples de l'Arctique? Pourquoi limiter la recherche aux savoirs sur les "zones en marge de banquise", ce qui semble constituer un angle d'approche très réduit pour une enquête sur les savoirs autochtones (même si je souscris aux mentions de ces différentes disciplines/approches)? Autre question : pourquoi (semble-t-il) n'envisage-t-on de co-construire les objectifs de recherche avec les populations locales que quand il s'agit de SHS? (et je reviendrai sur ce point)
2- Le paragraphe 9.3.a. concerne les interactions humain-animal dans l'Arctique et les diversités des représentations et des pratiques. Ces thématiques me semblent en effet tout à fait importantes. Vivant en grande partie de chasse, de pêche et/ou d'élevage, les peuples autochtones de l'Arctique sont en interaction quotidienne avec une diversité d'entités de la nature, allant des grands mammifères aux insectes. Ils développent à cet égard des savoirs, des pratiques, et des domaines de compétence particuliers - qu'ils soient techniques, rituels ou linguistique - qu'il convient d'étudier.
Mais, les questions posées dans cette partie du texte me semblent nourrir davantage une réflexion concernant les conséquences de l'élevage sur l'environnement qu'une analyse des interactions entre humains et animaux dans l'Arctique : par exemple, p. 40 "L'analyse de l'impact du caribou et du renne sur le paysage pourrait être déterminante" ou encore, un peu plus bas, on s'interroge sur la façon dont la présence de grands troupeaux de rennes en Sibérie pourrait "empêcher le développement de la végétation arbustive et arborée". Ce sont sans nul doute des points intéressants mais qui ne devraient pas occulter d'autres interrogations centrales aussi, relevant de la compréhension du rôle et de la place des humains dans l'Arctique.
* Promouvoir une approche des populations locales en tant qu'acteurs répondant à un vaste ensemble de changements globaux
Par ailleurs, je voudrais insister sur deux points qu'il me paraît important de faire davantage ressortir :
- ne pas aborder les populations arctiques (en particulier autochtones) par le seul angle de leur relation à la "nature" (même si une grande partie d'entre elles en tirent encore leur subsistance ou bien trouvent, par le fait de tirer leur subsistance de la "nature", des moyens d'expression et d'affirmation identitaires). Une grande partie des populations du Nord vit dans des environnements urbains ou semi-urbains (et il est heureux de voir intégrée cette question dans la partie 13);
- ne pas oublier que les habitants du Nord ne font pas que subir les changements; ils en sont aussi des acteurs.
Pour ces deux raisons, il me semble que, si elle est importante, la problématique du changement climatique et de la relation humain-environnement ne doit pas être la seule approche de cette prospective. Les défis auxquels doivent faire face les peuples de l'Arctique sont multiples :
- environnementaux, cf. par exemple, la pollution, les industries extractives (deux questions mentionnées à juste titre dans la prospective, mais plus pour leurs incidences sur l'environnement);
- économiques, cf. par exemple, la privatisation des terres en Russie ou encore les conséquences de la modification des lois concernant les parcs naturels en Russie suite à l'organisation des jeux olympiques de Sotchi qui laisse la porte ouverte à une exploitation non protégée des ressources et risque d'avoir des incidences sur les opportunités de chasse;
- sociaux, cf. par exemple, le changement des structures familiales;
- politiques, cf. par exemple, la situation inégale des instances de représentations autochtones si on compare la Russie et l'Amérique du Nord;
- religieux, cf. par exemple, les choix religieux que font certains habitants de l'Arctique en se tournant vers des formes nouvelles de religiosité (comme le développement des églises évangéliques actuellement dans l'Arctique russe) et les conséquences sociales, économiques et politiques éventuelles de ces choix. Par exemple, en Sibérie, se trouve sous-jacente la possible remise en question du statut d'autochtones par les autorités locales pour ceux qui choisissent de devenir chrétiens (les modes de ritualité jouant un rôle dans cette définition politique d'autochtone), ce qui poserait alors pour eux la question de la perte de certains droits de pêche et de chasse octroyés uniquement aux autochtones.
C'est l'ensemble de ces changements en cours, leurs interrelations, et la manière dont ils affectent (ou non) les populations locales de l'Arctique (autochtones ou non) qu'il convient, nous semble-t-il, d'analyser.
* Intégration des populations locales dans la démarche scientifique
Il est plusieurs fois mentionné dans le texte que les résultats scientifiques devront être communiqués aux populations locales. On lit notamment p. 20 "Il s'agira aussi de 'transmettre les méthodologies de recherche et les résultats aux Groenlandais'" (au passage, pourquoi étudier seulement le climat côtier du Groenland et pas inclure d'autres régions dans l'étude?). Il me semble qu'il faudrait s'efforcer de tendre vers une réelle intégration des savoirs et observations autochtones/locaux. Je constate qu'il est mentionné plusieurs fois dans le texte, notamment en § 1 que les observations manquent. Pourquoi ne pas inclure les populations locales, en tant qu'acteurs, et prendre aussi en considération leurs observations? (J'imagine que cela n'est pas possible pour tout mais pour certains types d'observations cela me semble tout-à-fait applicable). Il est fait mention p. 25 d'une volonté de "co-construire les objectifs de recherche avec des collaborateurs autochtones". C'est en effet un premier pas que l'on ne peut que saluer. Mais pourquoi ne tenterait-on pas de co-construire également les résultats (ou tout au moins une partie)? C'est aussi à ce type de défi - comment construire une science fondée sur la mise en commun de différents savoirs - que le Chantier Arctique pourrait également s'atteler. Le § 11.2.d. (p. 51) offre des pistes tout à fait intéressantes en ce sens, mais l'objectif devrait, à mon sens, être présent dans l'intégralité du projet (et donc sans limiter la démarche à l'approche du changement climatique).
Une des plus grandes difficultés a sans doute été de tenter de réunir au sein d'un même document l'ensemble des objectifs de recherche définis et d'élaborer un texte dans la transversalité. L'ampleur de la tâche se heurte donc inévitablement à certaines limites.
Je développerai ici trois suggestions, étroitement liées entre elles.
* Mieux intégrer les questionnements SHS pour comprendre l'ampleur des phénomènes qui concernent les habitants de l'Arctique
Avant toute chose, je tiens tout de même à souligner qu'il est véritablement appréciable que les SHS ne soient pas oubliées dans cette prospective, dans un contexte ou elles le sont malheureusement si souvent. Cependant, un certain nombre des thématiques posées, faisant partie des domaines SHS, pourraient pourtant mieux intégrer dans leur approche des questionnements propres aux SHS (ou sont formulées de manière trop étroite).
Je citerai ici deux exemples :
1- p. 24 (§ 4.3.f. ayant pour titre "la banquise comme milieu de vie dans un contexte de changement climatique"), on lit : "Un autre aspect concerne les modes de représentation de la MIZ [si j'ai bien compris, les "zones en marge de la banquise"] chez les Inuits et leur perception de son importance pour leurs modes de vie dans un contexte de changement climatique (par exemple comme zone de repli pour la faune marine exploitée?). Ces travaux se baseront sur des collectes de savoirs locaux sur la linguistique, la religion, la psychologie cognitive et la sociologie et viseront à une co-construction des objectifs de recherche avec des collaborateurs autochtones".
Ce paragraphe soulève plusieurs interrogations : Pourquoi seulement les Inuit sont pris en considération dans ce pan de recherche, et pas l'ensemble des peuples de l'Arctique? Pourquoi limiter la recherche aux savoirs sur les "zones en marge de banquise", ce qui semble constituer un angle d'approche très réduit pour une enquête sur les savoirs autochtones (même si je souscris aux mentions de ces différentes disciplines/approches)? Autre question : pourquoi (semble-t-il) n'envisage-t-on de co-construire les objectifs de recherche avec les populations locales que quand il s'agit de SHS? (et je reviendrai sur ce point)
2- Le paragraphe 9.3.a. concerne les interactions humain-animal dans l'Arctique et les diversités des représentations et des pratiques. Ces thématiques me semblent en effet tout à fait importantes. Vivant en grande partie de chasse, de pêche et/ou d'élevage, les peuples autochtones de l'Arctique sont en interaction quotidienne avec une diversité d'entités de la nature, allant des grands mammifères aux insectes. Ils développent à cet égard des savoirs, des pratiques, et des domaines de compétence particuliers - qu'ils soient techniques, rituels ou linguistique - qu'il convient d'étudier.
Mais, les questions posées dans cette partie du texte me semblent nourrir davantage une réflexion concernant les conséquences de l'élevage sur l'environnement qu'une analyse des interactions entre humains et animaux dans l'Arctique : par exemple, p. 40 "L'analyse de l'impact du caribou et du renne sur le paysage pourrait être déterminante" ou encore, un peu plus bas, on s'interroge sur la façon dont la présence de grands troupeaux de rennes en Sibérie pourrait "empêcher le développement de la végétation arbustive et arborée". Ce sont sans nul doute des points intéressants mais qui ne devraient pas occulter d'autres interrogations centrales aussi, relevant de la compréhension du rôle et de la place des humains dans l'Arctique.
* Promouvoir une approche des populations locales en tant qu'acteurs répondant à un vaste ensemble de changements globaux
Par ailleurs, je voudrais insister sur deux points qu'il me paraît important de faire davantage ressortir :
- ne pas aborder les populations arctiques (en particulier autochtones) par le seul angle de leur relation à la "nature" (même si une grande partie d'entre elles en tirent encore leur subsistance ou bien trouvent, par le fait de tirer leur subsistance de la "nature", des moyens d'expression et d'affirmation identitaires). Une grande partie des populations du Nord vit dans des environnements urbains ou semi-urbains (et il est heureux de voir intégrée cette question dans la partie 13);
- ne pas oublier que les habitants du Nord ne font pas que subir les changements; ils en sont aussi des acteurs.
Pour ces deux raisons, il me semble que, si elle est importante, la problématique du changement climatique et de la relation humain-environnement ne doit pas être la seule approche de cette prospective. Les défis auxquels doivent faire face les peuples de l'Arctique sont multiples :
- environnementaux, cf. par exemple, la pollution, les industries extractives (deux questions mentionnées à juste titre dans la prospective, mais plus pour leurs incidences sur l'environnement);
- économiques, cf. par exemple, la privatisation des terres en Russie ou encore les conséquences de la modification des lois concernant les parcs naturels en Russie suite à l'organisation des jeux olympiques de Sotchi qui laisse la porte ouverte à une exploitation non protégée des ressources et risque d'avoir des incidences sur les opportunités de chasse;
- sociaux, cf. par exemple, le changement des structures familiales;
- politiques, cf. par exemple, la situation inégale des instances de représentations autochtones si on compare la Russie et l'Amérique du Nord;
- religieux, cf. par exemple, les choix religieux que font certains habitants de l'Arctique en se tournant vers des formes nouvelles de religiosité (comme le développement des églises évangéliques actuellement dans l'Arctique russe) et les conséquences sociales, économiques et politiques éventuelles de ces choix. Par exemple, en Sibérie, se trouve sous-jacente la possible remise en question du statut d'autochtones par les autorités locales pour ceux qui choisissent de devenir chrétiens (les modes de ritualité jouant un rôle dans cette définition politique d'autochtone), ce qui poserait alors pour eux la question de la perte de certains droits de pêche et de chasse octroyés uniquement aux autochtones.
C'est l'ensemble de ces changements en cours, leurs interrelations, et la manière dont ils affectent (ou non) les populations locales de l'Arctique (autochtones ou non) qu'il convient, nous semble-t-il, d'analyser.
* Intégration des populations locales dans la démarche scientifique
Il est plusieurs fois mentionné dans le texte que les résultats scientifiques devront être communiqués aux populations locales. On lit notamment p. 20 "Il s'agira aussi de 'transmettre les méthodologies de recherche et les résultats aux Groenlandais'" (au passage, pourquoi étudier seulement le climat côtier du Groenland et pas inclure d'autres régions dans l'étude?). Il me semble qu'il faudrait s'efforcer de tendre vers une réelle intégration des savoirs et observations autochtones/locaux. Je constate qu'il est mentionné plusieurs fois dans le texte, notamment en § 1 que les observations manquent. Pourquoi ne pas inclure les populations locales, en tant qu'acteurs, et prendre aussi en considération leurs observations? (J'imagine que cela n'est pas possible pour tout mais pour certains types d'observations cela me semble tout-à-fait applicable). Il est fait mention p. 25 d'une volonté de "co-construire les objectifs de recherche avec des collaborateurs autochtones". C'est en effet un premier pas que l'on ne peut que saluer. Mais pourquoi ne tenterait-on pas de co-construire également les résultats (ou tout au moins une partie)? C'est aussi à ce type de défi - comment construire une science fondée sur la mise en commun de différents savoirs - que le Chantier Arctique pourrait également s'atteler. Le § 11.2.d. (p. 51) offre des pistes tout à fait intéressantes en ce sens, mais l'objectif devrait, à mon sens, être présent dans l'intégralité du projet (et donc sans limiter la démarche à l'approche du changement climatique).
Virginie Vaté- Messages : 1
Date d'inscription : 02/04/2013
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