Perturbateurs endocriniens et oiseaux marins arctiques
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Perturbateurs endocriniens et oiseaux marins arctiques
par Olivier Chastel, Centre D’Etudes Biologiques de Chizé, CNRS
Bien qu’éloigné des centres industriels et agricoles, l’Arctique connait depuis plusieurs décennies des apports (métaux lourds et composés organiques) d’origine anthropique. C’est particulièrement le cas des polluants organiques persistants (POPs) qui comprennent les pesticides (dont le célèbre DDT) les polychlorobiphényles (PCB), souvent utilisés comme isolants électriques, et les dioxines (sous-produits de combustion). Bon nombre de ces molécules sont désormais interdites d’utilisation depuis plusieurs décennies mais sont cependant encore très abondantes en Arctique et font partie des “ POPs d’héritage “. S’y ajoute la présence croissante de “ POPs émergeants “ tels que certains composés bromés (PBDE, retardateurs de flamme) et perfluorés (PFC, imperméabilisants et produits anti-incendie). Enfin parmi les métaux lourds, le mercure, d’origine naturelle et anthropique est également très présent en Arctique. Ubiquistes et volatils, ces composés toxiques voyagent aisément dans l’air, par le biais de l’effet “sauterelle“, phénomène d’alternance évaporation/condensation qui dirige ces contaminants vers les régions polaires. Cette forte prévalence des polluants en Arctique s’explique aussi par le fait que dans les régions froides, où la dégradation est très lente, ces molécules perdurent dans l’environnement pendant des décennies. Enfin, les POPs ont tendances à s’accumuler dans les graisses (à l’exception des PFC), dont les animaux polaires sont très pourvus.
Les oiseaux marins arctiques et en particulier ceux situés en haut de chaine trophique, accumulent Pops et métaux lourds qui impactent le bon fonctionnement de leur physiologie. En effet, de par leurs similarités structurelles avec certaines hormones, ces polluants s’avèrent de redoutables perturbateurs endocriniens. Une hormone est une substance chimique, sécrétée par une glande endocrine, agissant à distance et par voie sanguine sur les récepteurs spécifiques d'une cellule cible, et qui peut activer une ou plusieurs fonctions biologiques, en interaction avec l’environnement. La recherche médicale a montré que certains POPs et métaux lourds peuvent perturber les mécanismes hormonaux par
1) effet mimétique en simulant l'action d'une hormone naturelle;
2) par effet antagoniste, en bloquant de l'action d'une hormone naturelle ou
3) par effet d'interférence en gênant la production, le transport, ou le métabolisme des hormones ou des récepteurs.
Les travaux menés sur les oiseaux marins arctiques montrent que des concentrations même modérées de mercure ou de Pops sont assorties de désordres hormonaux (hormones stéroïdiennes, thyroïdiennes) significatifs, une caractéristique des perturbateurs endocriniens qui peuvent agir à faible dose. Chez les goélands bourgmestres du Svalbard, la pollution par les POPs est associée à un déclin des taux de prolactine, hormone clé dans l’expression des soins parentaux. Ceci pourrait expliquer la faible assiduité à couver les œufs par les individus les plus contaminés. Toujours au Svalbard, la présence de PCB semble stimuler la production d’hormones de stress chez la mouette tridactyle. La réponse au stress, fonction majeure caractérisée par la sécrétion d’hormones glucocorticoïdes, joue un rôle fondamental dans l’investissement reproducteur. Les taux élevés de glucocorticoïdes induits par la présence des polluants pourraient ainsi perturber la cascade hormonale mise en place au printemps, ce qui expliquerait le retard ou l’absence de reproduction observés chez les mouettes les plus polluées. La traduction des indices environnementaux (climat, ressources) en réponses écologiques (date et taille de ponte par exemple) se réalise via une cascade de processus hormonaux, qui déterminent probablement le degré d'adaptation aux modifications de l’environnement. Dans ce cadre, les polluants pourraient ainsi contraindre les capacités d’adaptation des oiseaux marins aux bouleversements majeurs que connait aujourd’hui l’Arctique, tels que ceux engendrés par les changements climatiques.
Cette problématique des perturbateurs endocriniens, identifiée comme majeure par l’AMAP (Arctic Monitoring and Assessment Program) doit être développée, dans le cadre de collaborations internationales, en particulier pour :
1) Mieux identifier les mécanismes complexes d’interactions entre les polluants (effets cocktail) et les systèmes hormonaux liées à la reproduction, au stress. C’est le cas en particulier pour certains POPs émergeants tels que les PFC, très présents chez les oiseaux marins arctiques.
2) Mesurer les conséquences encore peu connues de la présence des perturbateurs endocriniens sur la valeur sélective (survie, succès reproducteur) des individus et la dynamique des populations. A ce titre il est indispensable de croiser les données démographiques issues des suivis à long termes (baguage) avec des études éco toxicologiques et hormonales.
3) Mieux appréhender la dynamique spatiale de la contamination. Grâce aux loggers miniaturisés (géolocation) on peut désormais suivre les déplacements des individus sur une année entière. En couplant ses suivis à des mesures toxicologiques dans des tissus archives (plumes), il devient possible de comprendre quand (reproduction ou hivernage) et où les oiseaux se contaminent.
References :
AMAP Assessment (2004) Persistent Organic Pollutants in the Arctic; Arctic Monitoring and Assessment Program (AMAP): Oslo, Norway
Angelier F, Chastel O (2009) Stress, prolactin and parental investment in birds: A review. Gen Comp Endocrinol 163:142-148.
Bustnes JO, Erikstad KE, Skaare JU, Bakken V, Mehlum F (2003) Ecological effects of organochlorine pollutants in the Arctic: a study of the Glaucous Gull. Ecol Applic 13:504-515.
Chastel O, Lacroix A, Weimerskirch H, Gabrielsen GW (2005) Modulation of prolactin but not corticosterone responses to stress in relation to parental effort in a long-lived bird. Horm Behav 47459-466.
Gabrielsen GW (2007) Levels and effects of persistent organic pollutants in arctic animals. In: Arctic-Alpine Ecosystems and People in a Changing Environment. Springer Verlag, Berlin, pp 377–412.
Ikonomou MG, Rayne S, Addison RF (2002) Exponential increases of the brominated flame retardants, polybrominated diphenyl ethers, in the Canadian Arctic from 1981 to 2000. Environmental Science & Technology 36(9): 1886-1892.
Nordstad T; Moe B; Bustnes JO; Bech C; Chastel O; Goutte A; Sagerup K; Trouvé C; Herzke D; Gabrielsen GW. 2012. Relationships between POPs and baseline corticosterone levels in black-legged kittiwakes (Rissa tridactyla) across its breeding cycle. Environmental Pollution 164, 219-226
Tan, S. W., Meiller, J. C. & Mahaffey, K. R. (2009) The endocrine effects of mercury in humans and wildlife. Critical Reviews in Toxicology 39, 228–269.
Verreault J, Verboven N, Gabrielsen G, Letcher RJ, Chastel O (2008) Changes in prolactin in a highly organohalogen contaminated Arctic top predator seabird, the glaucous gull. Gen Comp Endocrinol 156:569-576.
Bien qu’éloigné des centres industriels et agricoles, l’Arctique connait depuis plusieurs décennies des apports (métaux lourds et composés organiques) d’origine anthropique. C’est particulièrement le cas des polluants organiques persistants (POPs) qui comprennent les pesticides (dont le célèbre DDT) les polychlorobiphényles (PCB), souvent utilisés comme isolants électriques, et les dioxines (sous-produits de combustion). Bon nombre de ces molécules sont désormais interdites d’utilisation depuis plusieurs décennies mais sont cependant encore très abondantes en Arctique et font partie des “ POPs d’héritage “. S’y ajoute la présence croissante de “ POPs émergeants “ tels que certains composés bromés (PBDE, retardateurs de flamme) et perfluorés (PFC, imperméabilisants et produits anti-incendie). Enfin parmi les métaux lourds, le mercure, d’origine naturelle et anthropique est également très présent en Arctique. Ubiquistes et volatils, ces composés toxiques voyagent aisément dans l’air, par le biais de l’effet “sauterelle“, phénomène d’alternance évaporation/condensation qui dirige ces contaminants vers les régions polaires. Cette forte prévalence des polluants en Arctique s’explique aussi par le fait que dans les régions froides, où la dégradation est très lente, ces molécules perdurent dans l’environnement pendant des décennies. Enfin, les POPs ont tendances à s’accumuler dans les graisses (à l’exception des PFC), dont les animaux polaires sont très pourvus.
Les oiseaux marins arctiques et en particulier ceux situés en haut de chaine trophique, accumulent Pops et métaux lourds qui impactent le bon fonctionnement de leur physiologie. En effet, de par leurs similarités structurelles avec certaines hormones, ces polluants s’avèrent de redoutables perturbateurs endocriniens. Une hormone est une substance chimique, sécrétée par une glande endocrine, agissant à distance et par voie sanguine sur les récepteurs spécifiques d'une cellule cible, et qui peut activer une ou plusieurs fonctions biologiques, en interaction avec l’environnement. La recherche médicale a montré que certains POPs et métaux lourds peuvent perturber les mécanismes hormonaux par
1) effet mimétique en simulant l'action d'une hormone naturelle;
2) par effet antagoniste, en bloquant de l'action d'une hormone naturelle ou
3) par effet d'interférence en gênant la production, le transport, ou le métabolisme des hormones ou des récepteurs.
Les travaux menés sur les oiseaux marins arctiques montrent que des concentrations même modérées de mercure ou de Pops sont assorties de désordres hormonaux (hormones stéroïdiennes, thyroïdiennes) significatifs, une caractéristique des perturbateurs endocriniens qui peuvent agir à faible dose. Chez les goélands bourgmestres du Svalbard, la pollution par les POPs est associée à un déclin des taux de prolactine, hormone clé dans l’expression des soins parentaux. Ceci pourrait expliquer la faible assiduité à couver les œufs par les individus les plus contaminés. Toujours au Svalbard, la présence de PCB semble stimuler la production d’hormones de stress chez la mouette tridactyle. La réponse au stress, fonction majeure caractérisée par la sécrétion d’hormones glucocorticoïdes, joue un rôle fondamental dans l’investissement reproducteur. Les taux élevés de glucocorticoïdes induits par la présence des polluants pourraient ainsi perturber la cascade hormonale mise en place au printemps, ce qui expliquerait le retard ou l’absence de reproduction observés chez les mouettes les plus polluées. La traduction des indices environnementaux (climat, ressources) en réponses écologiques (date et taille de ponte par exemple) se réalise via une cascade de processus hormonaux, qui déterminent probablement le degré d'adaptation aux modifications de l’environnement. Dans ce cadre, les polluants pourraient ainsi contraindre les capacités d’adaptation des oiseaux marins aux bouleversements majeurs que connait aujourd’hui l’Arctique, tels que ceux engendrés par les changements climatiques.
Cette problématique des perturbateurs endocriniens, identifiée comme majeure par l’AMAP (Arctic Monitoring and Assessment Program) doit être développée, dans le cadre de collaborations internationales, en particulier pour :
1) Mieux identifier les mécanismes complexes d’interactions entre les polluants (effets cocktail) et les systèmes hormonaux liées à la reproduction, au stress. C’est le cas en particulier pour certains POPs émergeants tels que les PFC, très présents chez les oiseaux marins arctiques.
2) Mesurer les conséquences encore peu connues de la présence des perturbateurs endocriniens sur la valeur sélective (survie, succès reproducteur) des individus et la dynamique des populations. A ce titre il est indispensable de croiser les données démographiques issues des suivis à long termes (baguage) avec des études éco toxicologiques et hormonales.
3) Mieux appréhender la dynamique spatiale de la contamination. Grâce aux loggers miniaturisés (géolocation) on peut désormais suivre les déplacements des individus sur une année entière. En couplant ses suivis à des mesures toxicologiques dans des tissus archives (plumes), il devient possible de comprendre quand (reproduction ou hivernage) et où les oiseaux se contaminent.
References :
AMAP Assessment (2004) Persistent Organic Pollutants in the Arctic; Arctic Monitoring and Assessment Program (AMAP): Oslo, Norway
Angelier F, Chastel O (2009) Stress, prolactin and parental investment in birds: A review. Gen Comp Endocrinol 163:142-148.
Bustnes JO, Erikstad KE, Skaare JU, Bakken V, Mehlum F (2003) Ecological effects of organochlorine pollutants in the Arctic: a study of the Glaucous Gull. Ecol Applic 13:504-515.
Chastel O, Lacroix A, Weimerskirch H, Gabrielsen GW (2005) Modulation of prolactin but not corticosterone responses to stress in relation to parental effort in a long-lived bird. Horm Behav 47459-466.
Gabrielsen GW (2007) Levels and effects of persistent organic pollutants in arctic animals. In: Arctic-Alpine Ecosystems and People in a Changing Environment. Springer Verlag, Berlin, pp 377–412.
Ikonomou MG, Rayne S, Addison RF (2002) Exponential increases of the brominated flame retardants, polybrominated diphenyl ethers, in the Canadian Arctic from 1981 to 2000. Environmental Science & Technology 36(9): 1886-1892.
Nordstad T; Moe B; Bustnes JO; Bech C; Chastel O; Goutte A; Sagerup K; Trouvé C; Herzke D; Gabrielsen GW. 2012. Relationships between POPs and baseline corticosterone levels in black-legged kittiwakes (Rissa tridactyla) across its breeding cycle. Environmental Pollution 164, 219-226
Tan, S. W., Meiller, J. C. & Mahaffey, K. R. (2009) The endocrine effects of mercury in humans and wildlife. Critical Reviews in Toxicology 39, 228–269.
Verreault J, Verboven N, Gabrielsen G, Letcher RJ, Chastel O (2008) Changes in prolactin in a highly organohalogen contaminated Arctic top predator seabird, the glaucous gull. Gen Comp Endocrinol 156:569-576.
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Date d'inscription : 12/04/2013
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