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Observer et comprendre les changements environnementaux dans l'Arctique: vers une meilleure integration des disciplines

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Observer et comprendre les changements environnementaux dans l'Arctique: vers une meilleure integration des disciplines Empty Observer et comprendre les changements environnementaux dans l'Arctique: vers une meilleure integration des disciplines

Message  Nigel Gilles YOCCOZ Jeu 4 Avr - 12:54

(ce message est une copie de celui mis sur le forum Biodiversite-Ecosystemes, mais il me semble etre interessant pour ce forum; NGY)

Récemment Wunsch, Schmitt et Baker ont rappelé un point important à propos de la recherche sur le climat : « Today’s climate models will likely prove of little interest in 100 years. But adequately sampled, carefully calibrated, quality controlled, and archived data for key elements of the climate system will be useful indefinitely.” Cela est bien entendu le cas également de l’impact du climat sur les écosystèmes et les communautés humaines, et des interactions entre climat et autres impacts liés aux activités humaines ou à la dynamique intrinsèque des écosystèmes. Et ce point est particulièrement critique dans l’Arctique, où le réseau d’observations est très réduit et les problèmes logistiques importants. Si l’objectif est de développer des réseaux d’observations pertinents pour comprendre ces impacts, les prédire, ou en atténuer les effets, il me paraît crucial de réfléchir à des systèmes intégrés et pluri-disciplinaires, et qui évitent l’écueil de systèmes parallèles opérant à des échelles spatiales et temporelles très différentes, ou qui ne mesurent pas les « bonnes » variables. Les climatologues ont souvent rappelé que ce qui est utile pour prévoir la météo n’est pas nécessairement utile pour comprendre le climat – de la même manière les variables climatiques importantes pour comprendre l’évolution des écosystèmes peuvent différer de celles qui intéressent les climatologues. Si les systèmes d’observations (et de modélisation) restent « physiques » ou « écosystémiques » ou « anthropologiques », nous n’avancerons pas bien vite.
Il existe à ce jour très peu de systèmes intégrés d’observations dans l’Arctique – dans le domaine terrestre la liste est courte avec Toolik Lake (Alaska ; site US-LTER=Long-Term Ecological Research), Bylot (Canada ; site du Centre d’Etudes Nordiques), et Zackenberg (Groenland ; Zackenberg Ecological Research Operations ; un autre site est à Nuuk – NERO - mais est moins complet). Nous essayons actuellement de mettre en place un tel système pour l’Arctique Norvégien, en étroite collaboration avec nos collègues danois et canadiens. Même s’il est clair que 3 ou 4 sites ne permettront pas de comprendre les processus actuels à l’échelle de l’Arctique et donc de prédire les changements à venir de manière globale, quelques remarques peuvent être faites:
- La mise en place d’Observatoires implique des décisions souvent difficiles concernant les questions prioritaires : il ne s’agit pas de vouloir « tout » mesurer, en pratique avoir de telles « laundry list » conduit le plus souvent à une masse de données difficiles à utiliser de manière pertinente (je ne suis pas un adepte du « data mining » , je ne crois pas que sans modèles conceptuels clairement définis nous puissions aller loin dans la compréhension des processus). Ces questions évolueront bien sûr dans le temps, en fonction des résultats obtenus (ce que Lindenmayer et Likens ont appelé « adaptive monitoring » ).
- Etudier la dynamique des écosystèmes se fait suivant deux axes principaux, celui des réseaux trophiques (en gros qui mange qui, quand et où, en se rappelant que d’autres interactions peuvent être importantes comme la compétition) et celui des cycles biogéochimiques (en particulier C et N). Par exemple les sites US-LTER ont privilégié la deuxième approche (et par conséquent, le rôle joué par les herbivores tels que rennes/caribous et lemmings est mal connu autour de Toolik Lake), alors que les études faites à Bylot privilégient la première approche. L’Arctique (terrestre) semble caractérisé par des interactions trophiques importantes (par exemple entre caribous/rennes et végétation, ou entre lemmings, leurs prédateurs et la végétation), donc ne retenir que l’approche biogéochimique/climatique ignore des processus dynamiques importants, localement pour les sociétés arctiques, et globalement en terme de rétroactions (par exemple l’extension des buissons, qui peut être freinée et même inversée par de fortes densités de rennes).
- L’importance des erreurs de mesure (soit locale liée à l’instrumentation, soit spatiale/temporelle liée à l’échantillonnage) doit être mieux prise en compte. La plupart des variables pertinentes ne sont pas aussi faciles à mesurer que la température (et même celle-ci peut varier beaucoup sur de courtes distances), et sans plans d’observations bien conçus, nous prenons le risque de nous retrouver dans quelques années ou décennies avec des données ininterprétables de manière causale. Ce problème est bien connu des épidémiologistes (eg Greenland) : l’erreur de mesure sur les facteurs d’exposition (par exemple les radiations) est souvent trop mal connue pour permettre d’établir des relations de cause à effet (par exemple sur certains cancers ). Plus de données n’apportent dans ce cas pas plus d’informations, parce que ce sont les biais qui l’emportent sur la précision.
- De la même manière que Schneider insistait sur l’importance d’une hiérarchie et sur une flexibilité des modèles dans les sciences climatiques , nous avons besoin de développer aussi bien des modèles simples, mécanistes pour comprendre certaines interactions, que de modèles plus globaux permettant de développer des projections.
L’intégration entre disciplines n’est pas très efficace si elle se fait a posteriori, en essayant de recoller les morceaux. Elle le sera beaucoup plus si elle se fait dès le départ, en termes de questions, de plans d’observation et de modèles. J’espère que la contribution française pourra se faire dans ce sens, et ne renforcera pas les cloisonnements disciplinaires et/ou géographiques.

Wunsch, C., R. W. Schmitt, and D. J. Baker. 2013. Climate change as an intergenerational problem. Proceedings of the National Academy of Sciences 110:4435-4436.
Lindenmayer, D. B. and G. E. Likens. 2009. Adaptive monitoring: a new paradigm for long-term research and monitoring. Trends in Ecology & Evolution 24:482-486.
Greenland, S. 2005. Multiple-bias modelling for analysis of observational data. Journal of the Royal Statistical Society Series a-Statistics in Society 168:267-291.
Schneider, S. H. and R. E. Dickinson. 1974. Climate modeling. Reviews of Geophysics 12:447-493.


Nigel Gilles YOCCOZ

Messages : 2
Date d'inscription : 06/03/2013

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