Interdépendance des processus géochimiques et microbiologiques dans les manteaux neigeux
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Interdépendance des processus géochimiques et microbiologiques dans les manteaux neigeux
En raison des
conditions extrêmes de température et de la présence restreinte d’eau liquide,
la neige et la glace ont longtemps été considérées comme un piège à
microorganismes, transportés sur des particules, et conservés dans un état
végétatif (1).
Cependant, la publication d’un nombre croissant d’articles scientifiques,
réexaminant l’influence des microorganismes sur la composition et l’abondance
de nutriments (2), sur
l’albédo de la neige (3), sur
l’hydrochimie (4), montre
que leur rôle était jusqu’alors sous-évalué et méconnu. Des études récentes sur
les cycles biogéochimiques en Arctique nous ont également conduits à considérer
le compartiment biotique comme étant crucial dans la production, dégradation,
transformation de la matière organique, des contaminants et des nutriments (5, 6). Parallèlement
à cette mise en évidence de l’activité biologique des neiges, les études de
chimie atmosphérique menées dans l’Arctique ont su démontrer le caractère
réactif du manteau neigeux (7). Loin de
constituer un milieu chimiquement inerte, la neige est apparue comme un
réacteur efficace, servant tout autant de réceptacle aux impuretés
atmosphériques que d’émetteur d’espèces réactives vers l’atmosphère (par ex.
halogènes, oxydes d’azote). Aujourd’hui,
un enjeu scientifique majeur est de comprendre comment les communautés
microbiennes et les composés chimiques interagissent entre eux. Quels éléments et quels métabolites sont–ils
produits et consommés ? Quelle part prend l’activité bactérienne dans
l’émission de composés chimiques de la neige vers l’atmosphère ou vers le
sol sous-jacent? L’activité bactérienne favorise-t-elle l’immobilisation
d’espèces chimiques et/ou leurs transferts vers le compartiment
hydrologique ? Ces dégradations microbiennes pourront, selon le composé
initial présent dans l’environnement, produire des gaz à effet de serre ou des
contaminants à la biodisponibilité augmentée. Elles auront également un
potentiel de détoxification des milieux qu’il nous appartient d’évaluer et de
comparer avec les processus physico-chimiques. Dans des neiges fortement anthropisées,
on peut noter des adaptations importantes des populations microbiennes soumises
à un stress environnemental : accroissement des populations portant des
caractères de tolérance/résistance, induction de gènes impliqués dans des
mécanismes de résistance ou détoxification, et adaptation par transferts horizontaux
de gènes (8). Cette présence conjointe
d’une charge chimique importante associée à une activité bactérienne
conséquente n’est probablement pas le fait du hasard et suggère une forte
interaction entre ces deux milieux. Actuellement, les connaissances sur la
biodiversité de la neige sont limitées à quelques études au Mont Everest et au
Svalbard et peu comparées aux caractéristiques chimiques du milieu. A partir
d’échantillons de neige Arctique, nous avons montré que la biodiversité est
élevée et même comparable à certains sols ou à des lacs de milieux tempérés (9).
Malgré son importance, la neige saisonnière arctique reste un milieu
exploré de manière ponctuelle, souvent mono-disciplinaire et sur des échelles
de temps courtes. Les transformations des contaminants en réponse à une
évolution physique couplée aux évolutions de la composition microbiologique et
chimique, les changements de biodisponibilité, et le transfert vers les
écosystèmes restent des processus très mal compris. Enfin, le rôle des microorganismes
est bien souvent un pan de recherche totalement occulté dans les études de
cycles géochimiques des éléments en zones arctiques.
Objectifs généraux du projet.
Le
développement des sociétés humaines (en particulier l’augmentation de
l’espérance et de la qualité de vie) grâce aux progrès technologiques s’est
accompagné de l’accroissement des besoins en énergie et en matières premières,
au détriment d’un coût environnemental important à une échelle temporelle
restreinte (d’environ 150 ans) (10). Ainsi l’exploitation
intensive des ressources naturelles a entrainé des perturbations d’un équilibre
naturel, résultat d’une très longue évolution, et plus particulièrement des
cycles biogéochimiques majeurs régissant cet équilibre (10). En effet, la libération
dans l’environnement d’éléments stockés dans les réservoirs géologiques est une
source de pollutions et de perturbation de l’environnement, avec pour exemple
l’émergence de problèmes comme l’effet de serre, les pluies acides, la
contamination des chaînes alimentaires et la réduction de la biodiversité
(perte d’espèces) (11). Afin de mieux
appréhender ces changements, il est essentiel de comprendre les cycles
impliqués ainsi que les mécanismes d’action des perturbations sur les
paramètres biologiques et géochimiques à une échelle spatiale locale (12). Une
question essentielle aujourd’hui et non limitée à ces environnements concerne
le lien entre structure taxinomique des communautés de
microorganismes, leurs fonctions/activités métaboliques en relation avec
le contenu abiotique de la neige. Cette question est
fondamentale dans le cas des écosystèmes polaires caractérisés par une biomasse
essentiellement microbienne et limités en nutriment. Pour y répondre les études
de grande ampleur couplant la structure et la dynamique taxinomique et
fonctionnelle des communautés microbiennes couplées à la chimie du manteau
neigeux seront nécessaires pour comprendre les interactions et les rétroactions
entre le monde biotique et abiotique et prédire le fonctionnement des grands
cycles géochimiques de ces milieux polaires soumis à une pression
anthropique en croissance constante.
Catherine Larose, AMPERE, ECL, Lyon
Timothy M. Vogel, AMPERE, ECL, Lyon
Jean-Christophe
Clément, LECA, Grenoble
Jean Martins, LTHE,
Grenoble
Aurélien Dommergue,
LGGE, UJF, Grenoble
Didier Voisin,
LGGE, UJF, Grenoble
Joël Savarino,
LGGE, Grenoble
Hans-Werner Jacobi,
LGGE, Grenoble
Jean-Luc Jaffrezo,
LGGE, Grenoble
Références
1. Cowan
DA, Tow, Lemese Ah Endangered Antacrctic Environments. Annu Rev Microbiol.
2004;58:649-90.
2. Hodson A, Anesio AM, Tranter M,
Fountain A, Osborn M, Priscu J, et al. Glacial
Ecosystems. Ecological Monographs. 2008;78(1):41-67.
3. Thomas WH, Duval B.
Sierra Nevada, California, USA, snow algae: snow albedo changes,
algal-bacterial interrelationships, and ultraviolet radiation effects. Arctic,
Antarctic, and Alpine Research. 1995;27:389–99.
4. Tranter M, Sharp MJ,
Lamb HR, Brown GH, Hubbard BP, Willis IC. Geochemical weathering at the bed of
Haut Glacier d’Arolla, Switzerland—a new model. Hydrol Process. 2002;16:959-93.
5. Poulain AJ, Ni Chadhain SM, Ariya
PA, Amyot M, Garcia E, Campbell PGC, et al. Potential for
mercury reduction by microbes in the high arctic. Appl Environ Microb. 2007
Apr;73(7):2230-8. PubMed PMID: ISI:000245576300024. English.
6. Barkay T, Miller SM,
Summers AO. Bacterial mercury resistance from atoms to ecosystems. FEMS
Microbiology Reviews. 2003 Jun;27(2-3):355-84. PubMed PMID: 12829275.
7. Grannas AM, Jones AE,
Dibb J, Ammann M, Anastasio C, Beine HJ, et al. An overview of snow
photochemistry: evidence, mechanisms and impacts. Atmos Chem Phys. 2007;7:
4329-73. PubMed PMID: http://www.scientificcommons.org/23650711.
8. Oregaard G, Sorensen
SJ. High diversity of bacterial mercuric reductase genes from surface and
sub-surface floodplain soil (Oak Ridge, USA). Isme J. 2007 Sep;1(5):453-67.
PubMed PMID: 18043664.
9. Larose C, Berger S,
Ferrari C, Navarro E, Dommergue A, Schneider D, et al. Microbial sequences
retrieved from environmental samples from seasonal arctic snow and meltwater
from Svalbard, Norway. Extremophiles. 2010;14(2):205-12.
10. Vitousek PM. Beyond
Global Warming - Ecology and Global Change. Ecology. 1994 Oct;75(7):1861-76.
PubMed PMID: WOS:A1994PK12900001. English.
11. Galloway JN, Aber JD,
Erisman JW, Seitzinger SP, Howarth RW, Cowling EB, et al. The nitrogen cascade.
Bioscience. 2003 Apr;53(4):341-56. PubMed PMID: WOS:000182254000011. English.
12. Schimel JP, Gulledge, J. Microbial community structure and
global trace gases. Global Change
Biology 1998;4:745–58.
conditions extrêmes de température et de la présence restreinte d’eau liquide,
la neige et la glace ont longtemps été considérées comme un piège à
microorganismes, transportés sur des particules, et conservés dans un état
végétatif (1).
Cependant, la publication d’un nombre croissant d’articles scientifiques,
réexaminant l’influence des microorganismes sur la composition et l’abondance
de nutriments (2), sur
l’albédo de la neige (3), sur
l’hydrochimie (4), montre
que leur rôle était jusqu’alors sous-évalué et méconnu. Des études récentes sur
les cycles biogéochimiques en Arctique nous ont également conduits à considérer
le compartiment biotique comme étant crucial dans la production, dégradation,
transformation de la matière organique, des contaminants et des nutriments (5, 6). Parallèlement
à cette mise en évidence de l’activité biologique des neiges, les études de
chimie atmosphérique menées dans l’Arctique ont su démontrer le caractère
réactif du manteau neigeux (7). Loin de
constituer un milieu chimiquement inerte, la neige est apparue comme un
réacteur efficace, servant tout autant de réceptacle aux impuretés
atmosphériques que d’émetteur d’espèces réactives vers l’atmosphère (par ex.
halogènes, oxydes d’azote). Aujourd’hui,
un enjeu scientifique majeur est de comprendre comment les communautés
microbiennes et les composés chimiques interagissent entre eux. Quels éléments et quels métabolites sont–ils
produits et consommés ? Quelle part prend l’activité bactérienne dans
l’émission de composés chimiques de la neige vers l’atmosphère ou vers le
sol sous-jacent? L’activité bactérienne favorise-t-elle l’immobilisation
d’espèces chimiques et/ou leurs transferts vers le compartiment
hydrologique ? Ces dégradations microbiennes pourront, selon le composé
initial présent dans l’environnement, produire des gaz à effet de serre ou des
contaminants à la biodisponibilité augmentée. Elles auront également un
potentiel de détoxification des milieux qu’il nous appartient d’évaluer et de
comparer avec les processus physico-chimiques. Dans des neiges fortement anthropisées,
on peut noter des adaptations importantes des populations microbiennes soumises
à un stress environnemental : accroissement des populations portant des
caractères de tolérance/résistance, induction de gènes impliqués dans des
mécanismes de résistance ou détoxification, et adaptation par transferts horizontaux
de gènes (8). Cette présence conjointe
d’une charge chimique importante associée à une activité bactérienne
conséquente n’est probablement pas le fait du hasard et suggère une forte
interaction entre ces deux milieux. Actuellement, les connaissances sur la
biodiversité de la neige sont limitées à quelques études au Mont Everest et au
Svalbard et peu comparées aux caractéristiques chimiques du milieu. A partir
d’échantillons de neige Arctique, nous avons montré que la biodiversité est
élevée et même comparable à certains sols ou à des lacs de milieux tempérés (9).
Malgré son importance, la neige saisonnière arctique reste un milieu
exploré de manière ponctuelle, souvent mono-disciplinaire et sur des échelles
de temps courtes. Les transformations des contaminants en réponse à une
évolution physique couplée aux évolutions de la composition microbiologique et
chimique, les changements de biodisponibilité, et le transfert vers les
écosystèmes restent des processus très mal compris. Enfin, le rôle des microorganismes
est bien souvent un pan de recherche totalement occulté dans les études de
cycles géochimiques des éléments en zones arctiques.
Objectifs généraux du projet.
Le
développement des sociétés humaines (en particulier l’augmentation de
l’espérance et de la qualité de vie) grâce aux progrès technologiques s’est
accompagné de l’accroissement des besoins en énergie et en matières premières,
au détriment d’un coût environnemental important à une échelle temporelle
restreinte (d’environ 150 ans) (10). Ainsi l’exploitation
intensive des ressources naturelles a entrainé des perturbations d’un équilibre
naturel, résultat d’une très longue évolution, et plus particulièrement des
cycles biogéochimiques majeurs régissant cet équilibre (10). En effet, la libération
dans l’environnement d’éléments stockés dans les réservoirs géologiques est une
source de pollutions et de perturbation de l’environnement, avec pour exemple
l’émergence de problèmes comme l’effet de serre, les pluies acides, la
contamination des chaînes alimentaires et la réduction de la biodiversité
(perte d’espèces) (11). Afin de mieux
appréhender ces changements, il est essentiel de comprendre les cycles
impliqués ainsi que les mécanismes d’action des perturbations sur les
paramètres biologiques et géochimiques à une échelle spatiale locale (12). Une
question essentielle aujourd’hui et non limitée à ces environnements concerne
le lien entre structure taxinomique des communautés de
microorganismes, leurs fonctions/activités métaboliques en relation avec
le contenu abiotique de la neige. Cette question est
fondamentale dans le cas des écosystèmes polaires caractérisés par une biomasse
essentiellement microbienne et limités en nutriment. Pour y répondre les études
de grande ampleur couplant la structure et la dynamique taxinomique et
fonctionnelle des communautés microbiennes couplées à la chimie du manteau
neigeux seront nécessaires pour comprendre les interactions et les rétroactions
entre le monde biotique et abiotique et prédire le fonctionnement des grands
cycles géochimiques de ces milieux polaires soumis à une pression
anthropique en croissance constante.
Catherine Larose, AMPERE, ECL, Lyon
Timothy M. Vogel, AMPERE, ECL, Lyon
Jean-Christophe
Clément, LECA, Grenoble
Jean Martins, LTHE,
Grenoble
Aurélien Dommergue,
LGGE, UJF, Grenoble
Didier Voisin,
LGGE, UJF, Grenoble
Joël Savarino,
LGGE, Grenoble
Hans-Werner Jacobi,
LGGE, Grenoble
Jean-Luc Jaffrezo,
LGGE, Grenoble
Références
1. Cowan
DA, Tow, Lemese Ah Endangered Antacrctic Environments. Annu Rev Microbiol.
2004;58:649-90.
2. Hodson A, Anesio AM, Tranter M,
Fountain A, Osborn M, Priscu J, et al. Glacial
Ecosystems. Ecological Monographs. 2008;78(1):41-67.
3. Thomas WH, Duval B.
Sierra Nevada, California, USA, snow algae: snow albedo changes,
algal-bacterial interrelationships, and ultraviolet radiation effects. Arctic,
Antarctic, and Alpine Research. 1995;27:389–99.
4. Tranter M, Sharp MJ,
Lamb HR, Brown GH, Hubbard BP, Willis IC. Geochemical weathering at the bed of
Haut Glacier d’Arolla, Switzerland—a new model. Hydrol Process. 2002;16:959-93.
5. Poulain AJ, Ni Chadhain SM, Ariya
PA, Amyot M, Garcia E, Campbell PGC, et al. Potential for
mercury reduction by microbes in the high arctic. Appl Environ Microb. 2007
Apr;73(7):2230-8. PubMed PMID: ISI:000245576300024. English.
6. Barkay T, Miller SM,
Summers AO. Bacterial mercury resistance from atoms to ecosystems. FEMS
Microbiology Reviews. 2003 Jun;27(2-3):355-84. PubMed PMID: 12829275.
7. Grannas AM, Jones AE,
Dibb J, Ammann M, Anastasio C, Beine HJ, et al. An overview of snow
photochemistry: evidence, mechanisms and impacts. Atmos Chem Phys. 2007;7:
4329-73. PubMed PMID: http://www.scientificcommons.org/23650711.
8. Oregaard G, Sorensen
SJ. High diversity of bacterial mercuric reductase genes from surface and
sub-surface floodplain soil (Oak Ridge, USA). Isme J. 2007 Sep;1(5):453-67.
PubMed PMID: 18043664.
9. Larose C, Berger S,
Ferrari C, Navarro E, Dommergue A, Schneider D, et al. Microbial sequences
retrieved from environmental samples from seasonal arctic snow and meltwater
from Svalbard, Norway. Extremophiles. 2010;14(2):205-12.
10. Vitousek PM. Beyond
Global Warming - Ecology and Global Change. Ecology. 1994 Oct;75(7):1861-76.
PubMed PMID: WOS:A1994PK12900001. English.
11. Galloway JN, Aber JD,
Erisman JW, Seitzinger SP, Howarth RW, Cowling EB, et al. The nitrogen cascade.
Bioscience. 2003 Apr;53(4):341-56. PubMed PMID: WOS:000182254000011. English.
12. Schimel JP, Gulledge, J. Microbial community structure and
global trace gases. Global Change
Biology 1998;4:745–58.
Hans-Werner Jacobi- Messages : 9
Date d'inscription : 12/03/2013
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